27.11.08

Le départ


C'est un jour de fin du monde.

Elle ne se souvient pas des détails, juste de cette phrase répétée comme un mantra: "c'est la dernière fois que je vois ce jardin, c'est la dernière fois que je ferme cette porte, c'est la dernière fois que je passe devant cette école, que je vois ce paysage..."
C'est la dernière fois. Sans espoir d'y revenir.
Elle a 15 ans. Elle perd son identité.
Depuis toujours, elle sait qu'elle n'a pas d'amis d'enfance n'étant jamais resté assez longtemps quelque part pour avoir pu créer des liens.
Cette fois, c'était l'exception: elle s'était attaché à des gens.
Elle était tombé amoureuse, avec sa meilleure amie du même garçon, elle se savait différente car pas d'ici, mais la même qu'eux quand elle allait passer une nuit chez son amie Nathalie ou chez Soraya.
Elle mangeait la même chose à la cantine, avait fini par s'habiller à peu près de la même façon avec néanmoins la surveillance maternelle pour veiller au grain d'une saison estivale qui dure toute l'année. Les chemisiers étaient souvent transparents, il faisait chaud, les bijoux voyants, les jupes virevoltant.
Elle était même parvenu à se faire percer les oreilles, comme il est de coutume dès la naissance là-bas. Son identité, elle se l'était créée de toute pièces, elle se voulait comme elles, ses amies, pour faire partie du groupe.
Elle restait quand même une Z'oreille. On lui racontait des choses, mais au fond, on se disait qu'elle ne pourrait pas vraiment comprendre.
Et puis de toute façon, elle ferait comme les autres, elle partirait.
La seule différence était qu'elle, elle ne le savait pas, ne voulait pas le savoir, le refusait.
Pourtant, elle en rêvait de cette pluie de crachin, la seule que l'on trouve en Bretagne, de ce ciel gris, de ces tempêtes que tu peux regarder de ta fenêtre.
C'est vrai qu'ici, les tempêtes avaient un autre nom, une autre force;
Si la géographie d'un pays forge ses habitants, alors, là, on ne s'attachait pas tant aux choses matérielles, celles qui pouvaient être volées par un vent indiscret. Non, on vivait proche des gens, chaleureusement, en profitant du temps qui passe avec sagesse ou fatalisme.

On ne quittait pas l'île innocemment, simplement. C'était quelque chose qui se préparait longtemps à l'avance, qui demandait des moyens, tout le monde ne pouvait pas le faire et par la force des choses, décidait de ne pas le faire.
Mais voilà que ce départ lui tombait dessus comme on lui aurait annoncé la mort d'un parent.
Ce n'était pas pour de courtes vacances.
Ce n'était pas pour aller voir la pluie.
Ce n'était pas un choix.
C'était définitif, indépendant de sa volonté, une contrainte, un couperet, un fait.

Elle avait donc dit adieu à ses amis.
Ils avaient fait une grande fête à l'école en ce mois de décembre d'avant les grandes vacances, pour elle, les profs avaient participé.
Elle avait dansé avec le prof de physique, dit au revoir au prof d'allemand qu'elle regretterait un jour, embrassé ses amis en se promettant que dans dix ans...
Elle avait reçu une déclaration d'amour aussi. Et un regard indifférent de celui qui comptait pour elle.
Elle était à présent dans la voiture qui suivrait quelque mois plus tard en bateau.
Assise près de la fenêtre arrière gauche, elle regardait dehors avec application, pour rester encore un peu, les images étaient floues et sa gorge ne se dénouait pas.
Elle ne voyait personne de connu, même pas lui, l'avion se prendrait 3 heures plus tard, de nuit.
Elle ne se souvient pas du reste. Sa mémoire a fait preuve d'amnésie choisie, celle qui permet de rester debout.
L'arrivée sur le sol Parisien ne l'a fait frissonner que par les 23 degrés d'écart. En négatif, avec ses chaussures sans chaussettes.
Elle se souvient du premier bain, de sa peau brune sur l'émail blanc, et de la desquamation qui commençait par les jambes. La mue se mettait en place.
On lui a dit qu'elle n'était pas d'ici, bien trop foncée pour un mois de janvier, sans aucune marque de lunettes de ski.
On lui a demandé comment il se faisait que sa hutte ne soit pas emportée par le vent.
Sa copine avait un nom étranger, qui ne commençait pas par Le.
Les murs étaient tous gris, les escaliers bruyants, les garçons immenses, l'air sec, elle mourait de soif continuellement, la vue s'arrêtait aux fenêtres obstinément closes, les profs portaient des blouses, des cravates et des manches longues, il y en avait même en costume.
Et tout allait dix fois plus vite. Sauf le temps.
Et le ciel, ce foutu ciel restait gris lui aussi.

26.11.08

Peinture à l'eau!

"La peinture à l'hawaïle

C'est bien diffic'hawaïle

Mais c'est bien plus beau

Dalida la di a dadi

Que la peinture à l'eau"...

J'ai fait joujou avec les enfants aujourd'hui...


bobby lapointe - framboise
envoyé par bisonravi1987

17.11.08

Les Mouettes

A taaaable, ceux qui ne sont pas à table dans deux minutes ne mangeront pas...je viens maman, je viens, je finis d'abord mon coloriage...je descends maman, je descends, je veux juste trouver mon dinosaure avec des oreilles...(...)...Ma Grande, tu viens?...(...)...ouhouhou...je viens, je finis d'abord mon chapitre...Ceux qui ne sont pas à table dans une minute mangeront froid...(course de pas dans la maison, bruits de raclements de chaises sur le carrelage)...je veux de l'eau...pardon?...je veux de l'eau...pardon?...s'il te plaît...bon.
Qu'est ce qu'on mange...oh non, c'est du poisson rose, j'aime pas le poisson rose, tu sais bien maman...mais, petit frère, c'est le poisson rose que tu aimes bien, le cru...non, fumé ma chérie...ah oui, j'aime pas mais je mange quand même...je veux du sel...pardon? ...je veux du sel, s'il te plaît maman adorable...bon.
Tiens, aujourd'hui j'ai...maman, maman, tu sais ce que j'ai fait à l'école ce soir?...Ce matin tu veux dire? ...non, ce soir, demain, j'ai fait du cirque...eh ben moi aussi hein j'ai fait du cirque...moi aussi moi aussi...mais euh, je parle à maman...eh bien j'ai joué avec des balles...et puis M c'est mon amoureux...non, petit frère, tu peux pas avoir un amoureux, toi tu auras une amoureuse...non, mais c'est mon meilleur ami...je peux avoir encore?
Donc, mon Chéri, aujourd'hui...maman, maman, si le soleil c'est du feu, pourquoi il ne fond pas quand il tombe dans la mer?...euh...oh, maman, j'ai renversé mon verre...maman, maman, moi aussi je veux de la sauce...moi mon repas préféré, c'est les pâtes, le poisson, le gâteau au chocolat, la soupe...la soupe au crocrodile? ...mais non E, la soupe à l'orange...maman, je voudrais de l'eau...pardon?...s'il te plaîîîîît! ...bon.
Et toi, qu'est ce que...maman, maman, tu peux m'aider?...mais, tu sais faire...non, je rigooole...coquine!...elle est làààà! (elle se tape le ventre)...clic, crrrshh, we wish you a merry christmas, we wish you a merry christmas...(il y a un engin sur la table, offert hier aux enfants par des gens irresponsables, qui gloussaient bêtement à l'idée de voir nos yeux ronds effarés de parents et ronds de bonheur des enfants, engin qui démarre les journées, ponctue les repas, clos les soirées)...attendez, les enfants, attendez, vous allez boire votre eau tous en même temps, vous êtes prêts? glou..Etdoncaujourd'huij'aivuLquim'aproposédeparlerdelapeintu...t'as vu maman, on a tout bu très vite!!
Pourquoi tu rigoles maman?


Les Mouettes du matin, du midi et du soir...

13.11.08

Question


Découvrez José González!

Il est arrivé sans crier gare, je devais être en mouvement planétaire d'épluchage de pommes, il a serré mon ventre par derrière, juché sur son tabouret, il a dit: pourquoi ton ventre ne fait plus jamais de bébé maman?
Mon couteau a cassé la pelure, ma main s'est arrêtée de tourner, mon coeur a frôlé le battement, j'ai souri: pourquoi mon chéri? tu voudrais un autre bébé?
Je me suis tournée vers lui, avec son ciel innocent dans les yeux et sa peau de pêche sous ma main, il m'a dit: oui, ce serait bien un autre enfant, un garçon, je pourrais jouer avec lui.
Et puis c'est vrai qu'on leur dit qu'on est tellement contents d'eux que c'est pour ça qu'ils ont un frère, une soeur.
Et puis c'est vrai que c'est un garçon serré entre deux filles.
Et puis quoi, il a tellement de dragons, de dinos et de requins, ses bras ne les portent pas tous en une seule fois, faut partager.
Et puis, t'en as marre mon ange de jouer avec Sarah Kay, tu voudrais bien faire Speederman, tiens je ne sais même pas comment ça s'écrit, tu aimes le rose et jouer à la dînette, mais la course du plus fort, du cri le plus féroce, de la grimace la plus atroce, faire le garçon avec la boue sur le pantalon, tu aimes aussi.
Comment te dire que c'est dur de savoir si c'est bien, si cette chance qu'on là de vous avoir tous, en forme, joyeux, vivants c'est tellement extraordinaire, pourquoi risquer...?
Comment te dire que malgré l'élasticité proportionnelle de mes chairs et de mon coeur, de cet abîme si grand qui s'ouvre quand parfois je songe à ce qui peut vous arriver de pire, je ne sais pas si j'en serais encore capable?
Comment ne pas te faire voir comme parfois je fonds en voyant le petit poing sur la photo, comme je soupire en me rappelant le tiraillement du sein, comme je plonge ma tête dans un livre pour ne plus trouver mon nombril et ainsi ne plus en faire le tour...
Quoi, n'est on pas bien comme cinq doigts d'une main?
Rien ne vous empêche, il m'a dit, le savant, ah bon? je me suis dit.
Mon chéri que j'aime, comme ta soeur et comme ta soeur, je vais laisser le temps, les choses, la vie s'écouler, l'horloge tic tac dans ma tête, ma pensée suit son cours, je vais l'attraper, je te dirai.
Mais là, je ne sais pas.

8.11.08

Les Autres

Elles ont les cheveux courts ou mi-longs, les cheveux vite coiffés. Parfois, ils ont des mèches de couleur, parfois ils sont colorés. Et souvent, ils sont tissés de fils blancs.
Elles se retrouvent souvent à l'école le midi ou à seize heures, le temps de ramasser les courants d'air que sont leurs enfants.
Les enfants; elles en ont un ou deux, plus rarement trois. Elles les voient grandir, elles les comparent même sans le vouloir.
Elles les inscrivent aux cours de dessin, au poney club ou au foot. Le foot. Il en passionne plus d'une, d'autres n'y voient aucun intérêt.
Elles se connaissent par leur prénom, elles se font la bise, savent vaguement où l'une et l'autre habitent. Elles savent mieux de qui elles sont la mère, de qui elles sont la fille, de quelle entreprise elles sont les employées, quelles voiture elles utilisent.
Parfois, elles se parlent plus longuement, en allant accompagner leur enfant à l'anniversaire d'un autre. Alors elles prennent un café, parlent des unes des autres, commèrent, un peu.
Elles ont des visages communs, se regardent dans le miroir le matin pour éviter une bavure de rouge, dissimuler une nuit trop courte, grimacer sur une ride, une tache brune. Elles s'habillent pour le travail, le costume qui leur va, la banque, le chef de rayon. Ou elles ne mettent que le jean inusable, celui qui porte encore des traces de peinture de la chambre du dernier, celui qui a 4 ans maintenant, mais peu importe, il est confortable et de toute façon plus personne ne les regarde.
Elles ont pris du poids, des cuisses ou du ventre, ou bien elles se sont asséchées, creuses poitrines, lèvres plus fines, mains aux os saillants.
Elles ne pensent plus à leurs rêves, ceux de leur jeunesse, celui de la grande famille nombreuse, ou du château en Toscane. Elles ne sont pas plus riches qu'une autre, elles sont parfois plus à l'aise, leurs enfants sont habillés de neuf ou des habits du premier ou d'une copine.
Elles courent, ne se rappellent plus de leur dernier fou rire, ah si, mon Dieu, c'était bête pourtant, elles voient leur boite à bijoux, les trésors qui font rêver leur fille, ils prennent la poussière.
Alors, elles engagent des baby sitter, parce qu'il faut, pour se coiffer, s'habiller, se faire belles, ou un peu mieux, pour lui, pour elles, pour le reflet du miroir, plus flatteur le soir.
Ces nuits là, elles respirent à plein poumon l'air de la ville, les mets du restaurant, l'odeur de la personne qui les accompagne. Elles trouvent que les lumières citadines sont belles, que les étoiles brillent plus fort, que la vie vaut la peine qu'on lui donne.
Elles se réveillent encore avec des projets, des envies, les solutions pour les réaliser. Parfois non.
Elles sont mères, elles sont à la maison, elles sont au bureau ou dans une boite, elles vivent pour leur travail, pour leur famille, pour elles, pour lui.
Elles sont nombreuses, elles vivent à deux pas, dans la grosse maison là, sur le bord de la route, dans le lotissement au bourg, dans la ville au loin. Elles se reconnaissent, se saluent, voudraient en savoir plus, échanger, regrettent de l'avoir fait, recommencent pourtant.
Elles sont différentes, mais tellement semblable, parfois ça me fait peur.

6.11.08

Couvent

J'ai revêtu le voile le matin ou j'ai franchi le seuil de cette Eglise, pour ne pas dire Cathédrale, et ne pas prononcer le mot "religion".
L'inaction, la solitude, le tourment m'avaient décidée à commettre cet irréparable geste: l'entrée au cloître.
L'anonymat, cet habit noir et blanc, jamais gris, ou seulement au fond de soi, m'avait semblé correspondre à ce besoin de solitude.
Elles étaient nombreuses dans ma congrégation, ne parlant que de Lui, n'agissant que pour Lui, ne retrouvant un semblant de sérénité qu'en Sa présence. Le dieu Blog.
Il a fallu batailler, se soumettre, se détourner du démon de la facilité, garder courage et ténacité pour conserver le cap de la volonté: y arriver.
Savoir prendre l'image, la transformer en pixels, code Html, liturgies imbuvable mais nécessaire.
Encenser les allées du lieu, mais rester humble.
La folie aurait pu me toucher; tant de mots à dire mais voeu de silence, tant de frénésie, mais ne pas courir, marcher la tête haute malgré son incertitude.
J'ai douté. Je n'y croyais plus. Je voulais savoir, tout, connaître, tout, mesurer, compter, arpenter sans relâche, dessiner pour montrer, rabâcher comme un maître, y faire croire alors que moi même...
Blog était. Blog disait. En Blog, je croyais.
Et puis...
Et puis, l'habit n'était que façade.
Au fond de moi l'espérance, mais l'incrédulité encore.
Au fond de moi, le souhait, mais la réalité en fait.
J'ai pris Recul comme autre mesure.
Cesser de garder l'oeil sur la lucarne aspirante comme seul un mirage peut attirer.
Mesurer avec précaution, avec un juste milieu pour garder l'équilibre.
Se nourrir des miettes comme du nectar des fleurs, faire rouler en bouche le commentaire plaisant, le mettre en cage, mais sans clé.
Garder son esprit libre, libre de toute contrainte, ne pas s'empêcher de dire pour plaire, ne pas dire pour séduire, le faire avec envie, pour le besoin assouvir, Blog j'ai, mais Blog ne m'a pas.
Enfin, je crois.
(pas totalement tout de même, bon d'accord, un petit peu, comme j'aime le chocolat, une drogue? oh, non, pas ça, juste une dépendance, un trait de caractère, une indéfectible amitié...pourquoi? ben, pourquoi pas? se laisser prendre dans les filets, se dire oui, après tout, se faire dévorer, se débattre et s'échouer sur le sable, et alors? je suis là, moi même malgré tout, quoiqu'un peu une autre, non? si, si, puisque je vous le dis.)

Tiens Zoridae, je ne suis pas sûre d'être éligible à ton idée de "le blog et...", mais l'idée me plaisait, alors...

2.11.08

Dis Manche.

Un jour, ils virent la lumière.
D'abord, tout était blanc, ils étaient aveugles encore. Peu à peu, les taches ont perdu leur intensité, ils ont commencé à distinguer les contours, les silhouettes, puis les couleurs.
Elles sont venues petit à petit, les rouges, les jaunes, les bleus, les gris enfin.
Ils se sont dit alors, que cet endroit était beau, varié, pas ennuyeux, et qu'ils pourraient s'y installer durablement.
Ils se rendaient compte chaque jour, qu'ils étaient nombreux, de plus en plus. Ils s'identifiaient par leur air de perpétuel étonnement, cet entrebâillement de la bouche qui peut donner l'air idiot ou émerveillé selon la façon qu'a le regard de s'orienter dans l'espace.
Ils ont joué avec le sable, foulé l'herbe, écrasé la terre entre leurs doigts, aspiré l'air froid de la neige, la vapeur de la mer.
Ils pouvaient danser, s'embrasser, crier, chanter sans que cela n'étonne, inventer des mots, les écrire, raconter des histoires, les vivre.
Et puis, un nuage a chassé le soleil, il a pris sa place.
Les couleurs se sont tues, les mots se sont éteint et la bouche a rendu la parole au geste.
Ils ont volé pour manger, tué pour vivre.
La terre ne tournait plus autour du soleil, les montagnes n'ont plus accouché de rien et l'air ne se trouvait qu'en bouteilles.

Oulalala, mais c'est noir, noir très très noir...ne t'inquiètes pas maman, tout va bien, on va aller faire du vélo...comment c'est ti que je vais me sortir de cette sadstory moi, mystère et roule ta bille..

Un petit homme trompait son ennui en fabriquant des objets qui n'avaient pas de sens. De bouts de ficelles, de morceaux de papiers , de boites vides ou déchiquetées, il s'inventait un cerf qui ne volait pas, un téléphone sans parole, des vélos aux roues carrées.
Quand il rencontra une autre isolée, oubliée, il se sentit joyeux, sans savoir ce que ce mot voulait dire. Il avait des fourmis dans les lèvres, il sentait sa peau s'étirer vers le haut, il découvrit le zygomatique, aussi.
A eux deux, ils inventèrent d'autres jeux.
Un matin, ils coururent après des feuilles qui s'étaient mise à voler, ils rassemblèrent les feuillets, fabriquant un livre dépareillé.
Sans couverture, ni fioriture, ils trouvaient l'objet joli et décidèrent d'en refaire encore un et peut-être encore deux.
Tant est si bien qu'à la fin, il n'y eu plus une seule feuille détachée, tout était lié.
A la nuit plus noire, ils s'échangeaient les feuilles, ils finissaient par mettre ensemble les caractères qui avaient l'air de se marier au mieux, de l'encre ou de la forme ils dessinaient de nouvelles histoires.
Des jours passaient sans qu'il se lassent de ces jeux de mots.
A force de parcourir les chemins, ils avaient fait de longues distances. Le voyage les amena comme par un hasard patiemment élaboré, devant un vieil homme édenté, qui ne voyait plus que du noir. Ils parlèrent, parlementèrent, sans jamais se taire, le vieux fini par leur apprendre à lire.
Ils étaient trois, ils avaient le savoir, ils avaient des livres, et la vie devant eux leur parut moins ennuyeuse. De là à dire qu'ils se marièrent et vécurent heureux, c'est calamiteux.
Non, ils ouvrirent une grande librairie où tout était gratuit si on s'engageait à lire tous les jeudis, de midi à minuit, pendant une vie.
Si.

1.11.08

1 XI

Hier, c'était le 31.

C'est ainsi qu'était le temps, sur son 31.

Assise sur ce tas de sable immense, elle pensait. Oui, les paysages la font penser. Penser évite de parler. Elle prend un air concentré ou rêveur, et se permet de ne pas répondre au premier appel, au premier cri. Elle sait qu'il n'y a pas d'urgence, que le temps peut attendre et parfois apporter la solution.

Après le 31, le 1er suit, souvent.

La phrase "on a nettoyé les tombes" lui est revenue soudaine, comme la rafale de ce vent glacial mais sec. Elle s'est souvenue alors des marches qui descendent l'allée du cimetière, pleine vue sur la campagne, la vallée se déroulant comme un tapis devant les yeux morts des défunts.

Ce sont des rectangles simples, qui se dressent devant ses yeux. On y lit des noms, on reconnaît parfois un visage. Peu de fleurs, la vie a mené trop loin la famille, la géographie des coeurs a pris l'avion ou le train, tout le monde est loin.

Le jour de son mariage pourtant, elle avait fait un détour avec sa robe en or et son voile chatoyant. Elle avait couru pour que personne ne s'aperçoive qu'elle avait disparu, et s'était posée un instant devant chaque branche de l'arbre familial. Vite elle avait dit bonjour, merci, vous êtes avec moi, et elle avait regagné le monde des vivants, un peu rouge, essoufflée.

Ce premier de novembre, elle est encore loin, mais le souvenir est là qui lui permet de communiquer encore un peu, de dire, t'as vu, elle est belle ma famille, tu les aimerais ces enfants là, ils ont tes yeux, ils ont peut-être ton caractère, ton nez, c'est sûr, elle veut des cheveux longs comme toi, il fait des rêves comme tu as du les faire, elle plane à mille lieues de la planète parfois, comme tu descendais de la voiture avant qu'elle ne s'arrête.

Je pense à vous souvent, je parle de vous parfois, vous me manquez, aussi, comme le temps passe.